4 / L'atelier Techniques de montage des mouches

Kapok et teintures, kapok et montages

Sur un site où sévissent des Puristes de la pêche à la mouche, Rois de la connaissance de notre géniale passion,  Grands Gourous du Savoir et Intégristes de la tolérance, j'avais vu un montage de mouche, dont le corps était réalisé avec du "kapok". Le monteur présentait ces fibres, d'origine végétale, comme étant "insubmersibles". La mouche semblait pas mal, un peu grossière cependant, tout au moins à mon goût.

Mais c'est  le travail de ces fibres comme mèche à dubbing qui a fait tilt dans ma petite tête emplie de rêves de flytying et de montages, parfois assez farfelus. Vous connaissez maintenant ma  passion pour le flytying, et dans mon article sur les dubbings, je parlais juste, un peu par dessus la jambe je le reconnais, des fibres végétales...du seul coton, en fait.

"Un peu" ignorant sur ce sujet du kapok, j'ai commencé à me renseigner  sur ce kapok. En fait, c'est une fibre végétale entourant la graine du kapokier (Ceiba pentandra), comme les fibres de coton entourent la graine de cet arbuste. Le rôle de ces fibres étant surement d'assurer une dissémination anémochore des graines.

Bref, ce qui m'a fortement intéressé, ce sont les quatre points ci-dessous:

  • Extrême finesse des fibres végétales
  • Couleur naturelle claire (écru)
  • Fibres réputées insubmersibles
  • Fibres réputés imputrescibles

Je me suis donc posé la question de l'utilisation de ces fibres, dans leur couleur naturelle, mais aussi et surtout, après différentes  teintures. Donc, j'ai fais des essais. Je vous livre ici le résultat de ces essais.

Pour plus de lisibilité, je vous donne le plan de cet article:

  • 1 -Trouver du kapok
  • 2 - Structure et propriétés du kapok
    • A - Ultrastructure
    • B - Composition chimique
    • C - Propriétés résultantes
  • 3 - Test réalisés
    • A - Teintures classiques à chaud, en milieu détergent et acide, pigments Veniard
    • B -Teintures classiques à chaud, en milieu détergent et acide, encre de Chine
    • C - Teintures en plongeant directement le kapok  dans de l'encre de Chine
    • D - Teintures aux pigments purs non chargés après mordançage
    • E - Teintures aux pigments Veniard après mordançage
    • F - Teintures aux encres de Chine après mordançage
  • 4 - Passage à l'acte
    • A - Mes recherches sur les procédés de mordançage avant teinture
    • B - Recette pour le mordançage
    • C- Séchage
    • D - Cardage
  • 5 - Résultats des teintures
    • A - Observations générales
    • B - Observations sur le mordançage
    • C - Teintures classiques, à chaud, en milieu détergent et acide, pigments Veniard
    • D - Teintures classiques, à chaud, en milieu détergent et acide, encres de Chine
    • E - Teinture en plongeant directement le kapok dans de l'encre de Chine
    • F - Teintures aux pigments purs non chargés, après mordançage
    • G - Teintures aux pigments Veniard, après mordançage
    • H - Teintures aux encres de Chine, après mordançage
    • I - Résultat du séchage
    • J - Résultat du cardage
    • K - Et la coloration dans tout cela?
  • 6 - Utilisation pour le montage
      • A - Premières impressions
      • B - Montages au kapok mordancé, coloré aux coloré aux pigments purs non chargés
      • C - Montage au kapok coloré directement à l'encre de Chine
      • D - Montages au kapok mordancé, coloré aux encres de Chine
      • E - Montages au kapok mordancé, coloré aux pigments Veniard
      • F - Montages au kapok coloré avec des pigments Veniard, en milieu détergent, chaud et acide
  • 7 - Conclusion

 

1 -Trouver du kapok

La première étape était de trouver du kapok. En cherchant un peu dans mes sites de fly tying, j'en ai trouvé chez Ardent, distribuant Semperfli. Des petits sachets de kapok teint en des couleurs classiques, mais ayant fait leurs preuves.  Près de 4 euros le sachet, quand même.

Et puis, j'ai commencé à chercher du bulk, du kapok non teinté. J'en ai trouvé un peu partout, mais pas en dessous de sac de 1 kg. J'ai bien cherché, mais vraiment rien en dessous de 1kg. Par contre le prix étant inférieur à 20 euros/kg, je me suis donc lancé, j'ai commandé. Chez un grossiste en tapisserie, cette fibre étant en effet utilisée pour faire des matelas et rembourrer des coussins. Merci Lapoisse de me l'avoir rappelé.

Et puis, j'ai reçu le kolis colis. Et bien, cela prend le volume de deux gros oreillers, environ !!! Faible densité de ce matériau, donc. Cela augure du bon!

En ouvrant le sac, une "bourre" dense, mais si légère, des fibres brillantes, longues, très fines, extrêmement "chaudes" au toucher, ce qui est le reflet d'une très faible densité. Et c'est doux et moelleux! Cela ne m'étonne pas que cela soit utilisé pour les oreillers, et, il n'y a pas si longtemps, pour les matelas.

Fibres de kapok en gros plan.

J'ai alors immédiatement téléphoné à Alexandre de AlexDubbingCreation, avec qui je suis resté en bon contact depuis que je l'avais sollicité pour tester  ses produits. Je souhaitais en effet lui en proposer. Il me répondit qu'il en avait déja ... sa réponse était - indirectement - un indice sur l'intérêt potentiel de ce matériau en fly tying, et plus particulièrement pour faire du dubbing...

Donc, j'ai tenté un premier montage (spent parachute) avec ce matériau brut.... Pas mal, fibres assez longues, extrêmement fines, dignes du plus fin des dubbings superfine.

Donc, je me suis dit qu'avec une telle quantité de matériel, je pouvais me lancer dans des teintures. Benêt que je suis ...

 

2 - Structure et propriétés du kapok

Mais avant de vous narrer la galère dans laquelle je m'étais lancé en voulant teinter du kapok, je vais vous décrire un peu ce matériau.

Ainsi que je vous le disais, le kapok est composé de "fils" très fins, brillants.

En comparaison, avec du dubbing de lièvre, il est vraiment très fin. Avec  la photo ci-dessous, je compare le kapok, au dubbing de chameau (calmel de chez Wapsi - voir mon article sur le dubbing), et au dubbing "Superfine dubbin" de chez Hareline.

Si le "superfine" et le "calmel" sont vraiment similaires (taille des fibres, structure "frisotée", densité des fibres), le kapok présente des fibres plus fines, non frisotées, plus longues également. La couleur de ce dernier est un peu plus claire que pour les deux autres dubbings. Mais cela se joue vraiment sur des nuances ténues.

A - Ultrastructure

Le kapok est une fibre tubulaire monocellulaire, de section ronde ou ovale.  Ces tubes, fermés en leur extrémités, mesurent entre 0,8cm et 3,2cm de long, avec une moyenne de 1,8cm. Leur diamètre est de  30µm-36 µm. Outre que ces fibres soient tubulaires (creuses), la paroi contient entre 80% et 90% de pores. Le diamètre de ces pores suit une répartition Gaussienne, 80% d'entre eux présentant un diamètre  compris entre 2 et 40nm.

Ultrastructure d'une fibre de kapok en microscopie électronique à balayage (d'après D.Vignesh Dhanabalan & S.K. Laga)

B - Composition chimique

D'un point de vue chimique, les fibres de kapok sont constituées de 30% à 65% de cellulose (contre 94% pour le coton).

La cellulose, polyoside complexe présentant de très nombreux radicaux hydroxyl (-OH), est capable d'engager autant de liaisons hydrogènes (liaisons chimiques dites "faibles", par opposition aux liaison covalentes "fortes") avec des molécules d'eau, ou d'autres molécules hydrophiles. Donc, elle est hydrophile.

Cette relativement faible proportion de cellulose dans le kapok en fait donc une fibre naturellement hydrophobe (à comparer au coton contenant 94% de cellulose). Au contraire, le pourcentage de lignine est élevé (13%, pourcentage à comparer au coton, extrêmement hydrophile, qui n'en contient pas). La lignine est par contre fortement hydrophobe.

Enfin, cette fibre végétale de kapok est pressentie comme matériau utilisable pour adsorber les huiles, grâce à ses pores  (in: Z. Yang et al., "Pore structure of kapok fiber", Cellulose, 25(6), 2018).

Donc, peu de cellulose (hydrophile)  et beaucoup de lignine (hydrophobe) en fait une fibre végétale chimiquement très hydrophobe,  à l'opposé du coton, donc.

Et si besoin est, elle peut en plus adsorber des huiles, comme des huiles de CDC, par exemple, au cas ou elle flotterait de manière insuffisante.

C - Propriétés résultantes

Donc, le kapok, est un tube creux fermé à ses extrémités, avec une paroi contenant un incroyable pourcentage de pores. Ces caractéristiques physiques (tube creux, parois présentant beaucoup de pores)  confèrent aux fibres de kapok une densité extrêmement faibles de 0,29 (0,29g/cm3), favorisant ainsi une excellente flottabilité. Pour rappel, la densité de l'eau est de 1 g/cm3.

De plus, sa nature chimique le rend particulièrement hydrophobe, en plus d'être résistant (la cellulose est un polyoside chimiquement extrêmement stable, la lignine est également très stable chimiquement).

Donc, cette très faible densité, combinée au fait que cette fibre végétale soit fortement hydrophobe, font que le kapok va présenter une excellente  flottabilité, et que cette flottabilité va se maintenir dans le temps (le kapok ne va pas s'imbiber d'eau). Et de plus, comme le kapok  est capable d'adsorber les huiles, il sera tout a fait possible - si besoin est- de le "huiler", comme on le ferait d'un CDC (voir mon article sur le CDC, plumes de rêve).

Enfin, la stabilité physico-chimique de ses composants principaux fait que cette fibre va avoir une très bonne tenue dans le temps ("imputrescible").

Nous avons donc, en théorie, une fibre parfaite pour faire du dubbing destiné au montage des mouches "sèches".

Mais, si j'ai tant galéré pour tester différents procédés / teintures c'est que d'abord, il faut arriver à "mouiller" le kapok. Et la, les ennuis commencent.....

Essayez juste de prendre une pincée de fibres de kapok, et de l'immerger. Cela remonte comme un bouchon (merci à Lapoisse de m'avoir dit que ce n'était bon qu'a faire des indicateurs, cela m'a remonté le moral quand je galerais à teindre ces ****** de fibres ).

 

3 - Tests réalisés

Pour teindre le kapok, j'ai testé plusieurs approches différentes. Tout d'abord, j'ai procédé comme je le fais pour les plumes et poils. Pigments Veniard en milieu acide et détergent. Ensuite, j'ai testé dans ce même milieu des encres de Chine. Puis, j'ai testé des encres de Chine directement sur les fibres, sans rien d'autre. Je me suis enfin lancé dans des approches un peu plus complexes nécessitant une préparation préalable des fibres de kapok. Ainsi préparées, j'ai testé trois teintures différentes:  pigments purs non chargés, encres de Chine, et pigments Veniard.

A - Teintures classiques à chaud, en milieu détergent et acide, pigments Veniard

Alors que je teignais des hackles de coq en orange fluo ou bleu vert pour le besoin de mon nouveau dada (les mouches pour grands migrateurs), j'ai tenté un premier essai rapide avec du kapok. Cet essai utilisait des pigments Veniard en milieu détergent (produit vaisselle), acide (vinaigre blanc), et chaud (liquide à frémissement),  ainsi que je le fais pour teindre des fibres kératiniques animales. J'ai testé un orange fluo et un bleu vert. Rinçages soigneux à l'eau froide ensuite.

B - Teintures classique à chaud, en milieu détergent et acide, encres de Chine

J'ai procédé exactement de la même manière, mais la, au lieu de pigments Veniard, j'ai utilisé des encres de Chine, rouge cerise et noire (sur la photo, il y a un rouge carmin, mais ce n'est pas ce rouge que j'ai utilisé. Il s'agissait bien d'un rouge cerise). Pas de rinçage ensuite, vous comprendrez plus tard pourquoi.

C - Teintures en plongeant directement le kapok dans de l'encre de Chine.

L'approche la plus simple qui soit. Je n'ai utilisé que de l'encre de Chine noire. J'ai laissé le mélange à température ambiante pendant environ deux heures. Rinçages soigneux à l'eau claire froide ensuite.

D - Teintures aux pigments purs non chargés après mordançage

Après avoir mordancé les fibres de kapok, j'ai testé des teintures en utilisant des pigments purs non chargés (je suppose que cela veut dire non ionique), juste dilués dans de l'eau distillée (pas simple  à diluer...). J'ai passé les mélanges 2 minutes aux micro-onde (1000W), puis j'ai laissé le tout environ une heure à température ambiante. Rinçages soigneux à l'eau froide ensuite.

E - Teintures aux pigments Veniard après mordançage

Après mordançage, j'ai testé des teintures en utilisant des pigments jaune fluo (yellow fluo), jaune soleil (sunburst yellow), gris bleu (blue dun), et noire (black). Après avoir dilué les pigments dans de l'eau distillée, j'y ai ajouté le kapok, et ai laissé le tout environ une heure à température ambiante. Rinçages soigneux à l'eau froide ensuite.

F - Teintures aux encres de Chine, après mordançage

Après le mordançage, j'ai testé différentes combinaisons d'encre de Chine: jaune, vert "léger", vert "foncé" (ces deux dernières étant obtenues en mélangeant en proportions variables de l'encre jaune et de l'encre bleue), rouge cerise et noire. J'ai plongé les fibres de kapok dans les encres non diluées, et ai laissé le tout environ une heure à température ambiante. Rinçages soigneux à l'eau froide ensuite.

 

4 - Passage à l'acte

Le plan d'action décidé, il ne me restait plus qu'a mettre tout cela en œuvre.

A - Mes recherches sur les procédés de mordançage avant teinture

Les fibres d'origine animale sont différentes des fibres d'origine végétale, tant dans leurs structures que dans leurs compositions chimiques. Les premières présentent une structure kératinique en écailles (voir mon article sur les poils en flytying), alors que les secondes ont plus une structure tubulaire poreuse principalement cellulosique et ligneuse.

J'ai donc commencé à chercher des infos sur le web. Et j'ai trouvé un site dans lequel ils parlaient de mordançage, comme étant une étape nécessaire pour teindre de manière pérenne  des fibres végétales. Cependant, dans le reste de l'article, ils parlent principalement de laine et de soie...qui sont des fibres animales (kératiniques). Vive Wiki, et son comité de relecture et de vérification des infos .

J'ai donc continué à chercher. Et je suis arrivé sur ce site, ou la teinture végétale est expliquée de façon simple, mais claire, je trouve.

Grosso modo, il faut de l'alun, de la poudre de tara, et des pigments. L'alun et le tara vont permettre respectivement à des ions des ions aluminium et des tanins de se fixer sur les fibres végétales, et c'est sur ces radicaux que les pigments vont ensuite se fixer. L'avantage de procéder ainsi est double:

  • Le bain de teinture est dissocié du  bain de mordançage. Les pigments ne sont pas en  milieu acide (ou basique), et donc pas de problème de précipitation. Je vais donc pouvoir utiliser mes encres de Chine (noir, bleu, jaune et rouge, et donc toute la panoplie de couleurs secondaires réalisables!).
  • Comme les bains (mordançage versus teinture)  sont différents, je vais donc pouvoir mordancer  le kapok en grande quantité, et ensuite faire des teintures sur de petites quantités.
  • Enfin, et tout comme je le fais pour les teintures de fibres animales, je peux conserver les différents bains de teinture pour de futures utilisations.

Il ne me restait plus qu'à mettre toute cette belle théorie en pratique.

Et pour ceux qui ont pour dada la chimie, une explication chimique à la coloration - paragraphe 6 - Colorants à mordant.

B - Recette pour le mordançage

Le bain de sel  d'alun doit être à 20% (m/m, j'ai supposé). Le bain de tara (qui va apporter les tannins) doit être à 10%. J'ai donc commandé 1 kg de poudre d'alun, et 500 g de tara chez Alysse création. Comme eau distillée, j'ai utilisé l'eau de condensation de mon sèche linge. J'ai également utilisé des gants nitrile pour toutes ces manipulations. Pour le reste, seau, récipients en verre et acier inoxydable.

  • Préparation de la solution à 20% de sel d'alun. Utilisez de l'eau distillée. Si vous voulez vraiment dissoudre le sel d'alun, il va vous falloir chauffer le tout. Sinon, la solubilité ne permet de dissoudre qu'environ 10% du sel. Ce n'est pas indiqué dans le site sus-cité.
  • Plonger  les fibres de kapok pendant une heure dans ce bain à 20% d'alun . Le premier problème est la: il vous faut mouiller des fibres naturellement très hydrophobes. Pas simple du tout en fait, mais à force de patience et de malaxage des fibres, on y arrive. Première galère en tout cas.
  • Rincer soigneusement à l'eau claire ensuite.
  • Réaliser alors un bain à 10% de tara dans de l'eau distillée.

Cela va vous donner une sorte de suspension assez peu engageante, je dois reconnaitre.

  • Plonger  les fibres de kapok pendant une heure dans le bain à 10% de poudre de tara. Bien mélanger après ajout des fibres dans le mélange. Appétissant, n'est-il pas?
  • Rincer alors abondamment à l'eau claire. Ca prend du temps!
  • L'eau de rinçage doit devenir limpide.
  • Replonger les fibres dans le bain d'alun pendant une heure. Rincez ensuite à l'eau claire (je ne vous remontre pas de photos qui n'amèneraient rien de plus). in fine, bien essorées, cela vous donne des fibres comme cela:

Logiquement, le mordançage est réalisé, et il n'y a plus qu'a teindre. Il n'y a plus qu'à, comme dirait l'autre....

C - Séchage

Ensuite, après avoir bien essoré les fibres teintes, je les ai mises au four (75°C) de manière à les sécher. Cela prend du temps (2-3 heures). Un petit conseil: ne tentez pas de les sécher avec un sèche cheveux. Une fois sèches, les fibres volent de partout!!! Mon épouse me l'a gentiment fait remarqué.

D - Cardage

Les fibres, une fois séchées, restent  agglomérées. Il va falloir les carder (peigner, démêler), car en plus, elles comportent encore des débris ligneux des graines. Pour ce faire, j'utilise une simple mini brosse métallique. Vous pourriez utiliser une bande Velcro, mais c'est ensuite plus difficile de débarrasser le Velcro des fibres  individualisées. A cette étape, il vous faut de la patience...beaucoup de patience...

J'ai utilisé cette brosse qui coûte "trois figues" sur l' "Amerzone"... (le seul album de Sokal que j'apprécie vraiment, soit-dit en passant...). La patience, elle, n'a pas de prix.

Une petite remarque: ne vous embêtez pas à carder votre paquet de fibres de kapok après séchage. Le cardage est long, et rébarbatif. Ensachez directement le kapok, puis, lors de son utilisation,  cardez juste ce dont vous avez besoin pour votre montage. Faites le avec vos doigts, cela ira très bien.

5 - Résultats des teintures

A - Observations générales

  • Avant toute chose, n'oubliez pas que vous manipulez des produits chimiques: portez des gants, des lunettes de protection et des affaires qui ne craignent rien. Je pense que le sel d'alun, ou que la poudre de tara dans les yeux, ca ne doit pas être terrible. Quant aux pigments, cela se colle partout ces trucs là ! Adieu la belle chemise blanche...
  • Ensuite: réfléchissez bien avant que de vous lancer dans ces opérations: abstraction faite du  montage des mouches, cette petite affaire m'a occupée une bonne journée, même si j'ai fais d'autres choses en parallèle.
  • Evitez de faire cela dans votre cuisine. Les pigments, il y en a ensuite partout. Heureusement, à la maison, je suis le seul à officier en cuisine, sinon, mon épouse aurait pu être "mécontente" (doux euphémisme). Heureusement, la javel permet de supprimer ces couleurs originales sur votre plan de travail.
  • Les fibres de kapok sont vraiment très hydrophobes. Pour les mouiller, il faut  les malaxer longuement dans le milieux aqueux, et constamment "défaire" les amas de fibres. Ensuite, comme elles sont agglomérées, après les avoir séchées, il faut vraiment les carder... Premier paradigme donc: teindre un matériau qui ne veut pas se mouiller. Il faut vraiment avoir de la suite dans les idées, ou être un peu...(je vous laisse trouver le mot ). Par contre, une fois sèches et cardées, elles s'envolent au moindre souffle. Ceci veut dire qu'elles ont retrouvées leurs propriétés physiques qui nous intéressent dans le cadre de flytying et des dubbings.
  • N'essayez pas de  sécher les fibres de kapok au sèche cheveux. Vous en mettriez vraiment partout (confère phrase précédente).

B - Observations sur le mordançage

  • L'alun est difficile à dissoudre à cette concentration de 20% (m/v). Il faut donc chauffer le bain de dissolution.
  • Le tara ne se dissout pas vraiment. Mais il faut faire avec.
  • Ce mordançage est long à faire.
  • Vous manipulez des produits chimiques: portez des lunettes protectrices, et des gants. Portez des vêtements qui ne craignent rien. Les gants vous protègent et évitent que vos mains ne prennent des couleurs étranges: vous manipulez des colorants.

C - Teintures classiques à chaud, en milieu détergeant et acide, pigments Veniard

Bon, ces premiers résultat m'ont un peu déçu. En effet, si les couleurs obtenues ne sont pas inintéressantes pour de tous petits montages fort utiles sur les Gaves (je pense à la couleur orange), l'intensité de coloration et leur coté lumineux (visible sur les hackles teints en parallèle) ne sontt pas vraiment présents.  Sur chaque photo ci-dessous, du kapok "brut", du kapok teinté dans les mêmes conditions que les hackles. Les hackles teintés en comparaison.

Teinte bleu-vert:

Teinte orange fluo:

Bon cela reste cependant acceptable, et les couleurs sont assez "pastel", tout comme celles de la gamme de kapok coloré  Semperfli. Le rinçage des fibres doit être long, jusqu'à ce que l'eau redevienne claire. Il est évident qu'une forte proportion de pigments ne se fixe pas sur les fibres.

D - Teintures classiques à chaud, en milieu détergent et acide, encres de Chine

Et puis, j'ai voulu tenter une couleur en noir. N'ayant plus de pigment Veniard noir, j'ai utilisé de l'encre de Chine noire. Et la, l'horreur: en milieu détergeant et acide, l'encre a précipité, pour donner un espèce de truc noir très collant...j'ai failli bousiller ma casserole à 5 euros destinée aux teinture!!! Grumph.  Autre essai avec une encre de Chine rouge, même impossibilité.

Donc, de cet essai, il ressort que les encres de Chine, précipitant en milieu acide, ne peuvent être utilisées pour teindre des fibres kératiniques. En effet pour qu'une teinte "prenne" sur des fibres kératiniques, il faut d'abord "ouvrir les écailles grâce à un milieu acide, ce qui permet ensuite aux pigments d'atteindre la zone "colorable" de la fibre.

E - Teinture en plongeant directement le kapok dans de l'encre de Chine

J'ai donc fait l'essai de mettre donc du kapok directement dans de l'encre de Chine. La teinture ne tient pas vraiment bien. Lors du rinçage, ce sont les doigts qui se colorent en noir, et les fibres ne retiennent que très peu de pigment. Sur cette photo, les hackles noirs sont issus d'une teinture noire "classique" aux pigmente Veniard. Le résultat sur le kapok est un gris à peine soutenu, légèrement verdâtre. Une fois de plus, cette teinte n'est pas inintéressante, mais le procédé laisse à désirer.

F - Teintures aux pigments purs non chargés, après mordançage

J'ai préalablement dilué les pigments purs dans de l'eau distillée. Ce n'est pas forcément très aisé, il faut bien mélanger. Puis y ai plongé les fibres de kapok mordancées pendant environ 2 heures. Tout comme précédemment, rinçage soigneux ensuite à l'eau claire. Là, la fixation des pigments semble être bien meilleure, car l'eau de rinçage fini par être totalement incolore assez rapidement.

Nous verrons par la suite que cette approche n'est pas bonne.

G - Teintures aux pigments Veniard, après mordançage

Après avoir dilué les pigments dans de l'eau distillée, j'y ai trempé les fibres de kapok, puis ai mis le tout au four micro-ondes (2 minutes, puissance maximale 1000W). Fixation des pigments correcte.

H - Teintures aux encres de Chine, après mordançage

J'ai plongé pendant environ 2 heures les fibres mordancées directement dans les fibres, jusqu'à ce que l'eau redevienne limpide. Cela prend un peu de temps, et l'eau ne redevient pas entièrement claire, signifiant que la fixation des pigments sur les fibres n'est pas excellente.

I - Résultat du séchage

Le séchage au four est facile. Utilisez une chaleur ventilée.

Avant le passage au four:

Pour les fibres de kapok teintées avec des pigments Veniard:

Après passage au four.

Fibres mordancées teintées aux pigments purs non chargés:

Fibres mordancées teintes avec des encres de Chine:

Fibres mordancées teintes avec des pigments Veniard:

Sur cette dernière photo,  difficile de faire la différence entre le Blue dun et le black.....et pourtant je ne me suis  pas mélangé les pinceaux.

Une fois ensachée, voila donc ma petite collection de fibres de kapok tentées.

J - Résultat du cardage

Une fois cardé, cela donne cela.

Photo ci-dessous: à gauche, après cardage, et à droite, avant cardage.

Photo ci dessous: Kapok coloré (teinture en utilisant des pigments bruts non chargés), en comparaison avec du kapok brut (à droite).

K - Et la coloration dans tout cela?

Lors du rinçage, on peut voir de grandes différences dans la rétention des pigments sur les fibres. Ceci est reflété par leur capacité a être éliminés dans les eaux de rinçage, et est l'indice de leur degré de fixation covalente sur les fibres. De manière générale, et quelle que soir la méthode employée, la teinture des fibres de kapok est bien moins efficace que la teinture de fibres animales kératiniques. Il semble en effet difficile d'obtenir les mêmes intensités et luminosités.

    • Teindre aux encres de Chine n'est vraiment pas la meilleure manière de faire, je trouve. La teinture "prend" assez mal (voir les résultats sur le noir). Evitez, même si cela semble être moins cher à l'achat. De plus, inutile d'essayer d'utiliser les encres de Chine en milieu acide: les pigments précipitent et donnent un résidu collant très pénible à ôter. N'essayez donc pas de les utiliser sur des fibres kératiniques animales (poils, plumes). En effet, ces fibres sont recouvertes d'écailles, qu'il faut ouvrir avec de l'acide afin que la pigmentation (coloration) prenne. L'utilisation alors d'encres de Chine comme colorant vous ferait perdre tout votre matériel de plumes/poils.
    • Les pigments sans charge semblaient être pas mal. Les eaux de rinçage après teinture  deviennent très rapidement transparentes et non colorées...mais cette constatation, c'était a priori. Lors de la réalisation des bains de teinture, j'avais eu vraiment du mal à dissoudre ces pigments. Je pense donc que j'avais plus une suspension qu'une solution. Le résultat semblait être bien, les fibres séchées avaient de jolies couleurs. Mais lorsque j'ai ensaché le kapok ainsi teinté, j'avais les doigts colorés dès que je manipulais ce kapok. Et en regardant les sachets, cela devient évident. Les pigments ne tiennent pas sur les fibres, le sac est orangé à l'intérieur. C'est dommage, car la coloration "finale" du kapok était celle qui se rapprochait le plus des pigments purs. J'avais des pigment rouges, j'ai eu du kapok rouge. Mais à bien y réfléchir, les pigments n'étaient que déposés en poudre à la surface des fibres végétale, comme une sorte de gangue. Ils n'avaient pas imprégnés les fibres. Une fois séchées, la manipulation de ces fibres fait se détacher les pigments. Il faut donc probablement procéder autrement avec ces pigments. J'ai un stock de kapok mordancé. Je referais quelques essais, un peu plus tard.
    • Les pigments Veniard semblent vraiment faire le job. Après séchage, lors de la manipulation des fibres teintés avec ces pigments, les doigts restent clairs, tout comme l'intérieur des sachets. La teinture semble bien tenir. Et de manière paradoxale, il n'y a pas vraiment de différence entre teinture classique (chaleur, détergeant et acide) et teinture après mordançage. Donc ne vous embêtez pas, faites simple. Je pense qu'avec ces pigments, le mordançage devient peut-être inutile.

Bref, pour faire cet essai, il m'a fallu une journée complète.

 

6 - Utilisation pour le montage

Bon, c'est bien gentil d'avoir tout plein de petits sachets colorés, mais l'objectif est quand même de monter des mouches (sèches) avec.

J'ai donc utilisé chacun des sachets ainsi produits pour réaliser un montage. Dans un but de comparaison, j'ai réalisé le même modèle, sur un même hameçon. J'ai utilisé un Dohiku 302 (même forme que le 301, mais plus fort de fer - avec le kapok, ca flotte même quand on jette avec force la mouche dans une récipient d'eau) en taille 18, et j'ai réalisé un petit parachute, grâce à des plumes de CDC blanches pour faire l'aile (voir mon article sur le CDC), et avec des petits hackles grizzly pour faire la collerette (voir mon article sur les plumes de coqs). La soie de montage (14/0, Sheer) utilisée était marron, les cerques en barbes de Pardo.

Je vous livre les résultats obtenus ci-dessous.

A - Premières impressions

Ce qui est vraiment intéressant avec ces fibres, c'est...leur finesse. Donc, il est possible de faire des mèches à dubbing vraiment très très fines, ce qui est intéressant sur les tous petites montages. De plus, c'est un gage de précision dans la réalisation des corps. Sur la photo ci-dessous, vous pouvez voir une mèche à dubbing sur une soie 14/0...la mèche est vraiment très fine!

B - Montages au kapok mordancé, coloré aux pigments purs non chargés

Kapok naturel:

Kapok teinté en jaune:

Kapok teinté en orange:

Kapok teinté en rouge:

Récapitulatif:

Cependant, comme je vous le disais plus haut dans cet article, lors de la  manipulation du kapok ainsi teintés, mes doigts se teintaient. J'ai donc pris la mouche "rouge", l'ai mise sous un jet d'eau froide de manière à vraiment la mouiller, puis l'ai essuyée par tamponnage sur un papier absorbant.  Bingo, le papier absorbant s'est coloré. Donc, ces pigments purs non chargés, tels que je les ai utilisés, ne conviennent pas pour ces teintures. Il me faut donc  trouver un autre procédé pour utiliser ces pigments. Je pense qu'il me faut trouver une solution. Milieu acide ou basique? Je ne sais.

C - Montage au kapok coloré directement à l'encre de Chine

Suite à mon essai désastreux de teinture à l'encre de Chine en milieu détergent acide et chaud,  j'ai testé une coloration directe en immergeant du kapok dans de l'encre de Chine noire. Le résultat obtenu est presque gris-vert, donc loin du noir de Chine. Par contre, la teinture semble être stable.

D - Montages au kapok mordancé, coloré aux encres de Chine

Les résultats sont les suivants:

Jaune:

Vert "léger":

Vert "foncé":

Rouge cerise:

Noir:

Récapitulatif:

Donc, le rouge et le bleu prennent assez mal dans le sens où l'intensité de coloration est assez faible. J'obtiens bien un rouge cerise, mais délavé. Cette couleur sera très intéressante pour les spents. Le noir donne un gris un peu foncé, mais pas un noir.  Les variations du jaune (du jaune "pur" au vert foncé) ne donnent que des infimes variations de teinte sur les fibres de kapok. Ce qui est surprenant est que les différences de teintes étaient assez marquées avant séchage. Par contre après séchage et cardage , la composante verte a quasiment disparue pour ne laisser qu'un jaune olive.  Cette couleur est cependant très intéressante (entre autre pour le montage des Ignitas), mais je n'ai pas obtenu la palette de teintes que je souhaitais.

E - Montages au kapok mordancé, coloré aux pigments Veniard

La sont, selon moi, les résultats les plus intéressants. A tester avec d'autres couleurs, cependant.

Jaune fluo:

Sunburst yellow:

Blue dun:

Black:

Récapitulatif:

La encore, pas de noir. Juste un gris foncé, que l'on parte d'un pigment noir, ou blue dun. D'ailleurs dans la gamme commercialisée par Ardent pêche, pas de noir. Le jaune fluo est vraiment fluo, et donc ce pigment à bien "pris" sur le kapok. Le yellow sunburst également. Je vais donc tenter quelques teintures supplémentaires avec des pigments différents. Comme je vous le disais, j'ai encore du kapok mordancé.

E- Montages au kapok coloré avec des pigments Veniard, en milieu détergent, chaud et acide

Teinture donc (mes premiers essais) selon les conditions utilisées pour colorer des fibres kératiniques (mes premiers essais).

Orange fluo:

Bleu-vert:

Et le récapitulatif (incluant le "noir" de Chine):

En fait, ces deux teintures (orange fluo et bleu-vert) ont relativement bien pris même si l'on n'a pas la luminosité d'une teinture sur fibre animale.

 

7 - Conclusion

Bon, comme vous avez pu le lire, j'ai donc pas mal galéré. Mais que faut-il retenir de tout cela?

Tout d'abord que le kapok est un matériau vraiment intéressant: peu onéreux, il a une densité très faible, est hydrophobe par nature (chimique), et est "imputrescible' (toujours par nature chimique). Que des propriétés intéressantes pour ceux montant des mouches.

Ensuite, que la coloration aux pigments Veniard semble être la meilleure façon de procéder. Vous n'obtiendrez pas la luminosité atteinte avec des fibres d'origine animale, mais vous aurez des teintures une peu "pastel" ou délavées, mais robustes. Le fait de partir d'un matériau de couleur écrue permet d'avoir des teintes assez proches de celle des pigments obtenus.

Par contre, je ne vois finalement pas de différence notable entre teindre en milieu acide (vinaigre blanc), détergent (produit vaisselle) et chaud (à frémissement), et teindre après mordançage. Donc, en terme de temps passé, et surtout de faisabilité, il vaut mieux utiliser la première méthode, tellement plus simple et rapide.

Vous n'obtiendrez pas de noir. Juste du gris foncé. Peut-être qu'un deuxième bain permettrait d'obtenir un vrai noir, mais je n'ai pas essayé.

Enfin, inutile de teindre avec des pigments non chargés (ils ne se fixent pas), et surtout, n'utilisez jamais d'encre de Chine en milieu acide pour colorer vos matériaux de flytying.

Voila, c'est à  vous de vous lancer maintenant. J'espère que cet article vous aura intéressé.

Casa

PS: malgré des hameçons fort de fer, elles flottent!

10 réponses à “Kapok et teintures, kapok et montages

  1. Salut Casa , je viens de lire entièrement ton article ( mieux vaut tard que jamais :-) C’est vrai que tu as fait là un travail colossal , entre la recherche , et les tests , bravo et merci , il y à plus d’un an que j’ai un sac de kapok comme le tien , brut . Nul doute que je vais m’y atteler un de ces jours , un grand merci :good: ;-)

    1. Je me permets de répondre à la place de Casa car j’ai vu de mes yeux vu le dubbing de Branko, dans son atelier.
      Même s’il “force un peu le trait” malicieusement en disant qu’il est fait avec un mélange de 7 matériaux, il m’a semblé évident que ça ressemblait à un mélange assez complexe.

  2. Bravo Casa , c’est vraiment un sacré boulot que tu as fait la, donc si je pige convenablement ,la méthode de jean paul dessaigne (voir youtube) est tout a fait applicable au kapok?
    lavage au liquide vaisselle, vinaigre blanc, teinure véniard, eau juste frémissante.
    ça ouvre des horizons,
    merci pour ce beau sujet.

    1. Oui, effectivement, c’est parfaitement applicable. Il faut même porter à un vrai frémissement le bain de teinture.
      Par contre, en présence de vinaigre, n’utilisez pas des encres de Chine comme colorant!
      Merci pour ton commentaire, Norman…mais grâce au taff pour cet article, je me suis fait une belle déclinaison de teintes de dubbing B-)

  3. Salut Seagull, et merci pour ton commentaire!
    Oui, pigments Veniard. La méthode “classique” étant la plus simple à mettre en œuvre, oui, tu peux y aller.

    Les fibres mesurent entre 0,8 et 3,2 cm. Donc, en théorie, ton idée serait jouable sur des petits hameçons. Mais avec le kapok brut, pas celui teint, car les procédés abiment quand même un peu les fibres.

    Je pense cependant que tu risques d’avoir des difficultés pour obtenir des “mèches” utilisables….mais il faut essayer pour voir.

  4. Tres, tres interessant ! Donc, en resumé, la meilleure teinture c’est la Veniard en utilisation classique.
    Petite question: quelle est la longueur des fibres ? Parce que , malgré la flottaison apparemment importante, les fibres ont l’air tres souple et ce serait interessant de voir une utilisation pour faire des mouches mer, notamment des crevettes dans le style de la “Woolly Shrimp”. Vu la souplesse, ça devrait bien nager, meme si ça met du temps à se mouiller, encore que ça pourrait etre un avantage.
    En tout cas, encore bravo pour cet article ultra bie fait et bien renseigné.

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