4 / L'atelier Autres fabrications

L’IKEJIME

Ikejime

Un grand merci à FANCH56, membre de notre forum, pour cette magnifique contribution !

 

Préambule

 

J’en ai tué des poissons. Et cela dure depuis les temps heureux et insouciants de l’initiation paternelle à la pêche. A l’époque, pas de maille ni de minima. Tout faisait ventre. J’en sacrifierai sans doute encore. Mais maintenant, je sais. Alors, certes, pas question d’occire de ces petites mouchetées sauvages qui s’efforcent de survivre dans nos rivières. Mais de belles arcs, pêchées en réservoir (que je fume et partage ensuite accompagnées du petit blanc qui va bien), quelquefois un bar, maillé, lorsque Saint Pierre a consentie à récompenser mon obstination halieutique.

Oter la vie, je ne l’ai jamais fait sans me questionner sur mes pratiques. Celles-ci ont pu être barbares. Et j’ai vu des agonies, des soubresauts, des spasmes qui durent…bien trop longtemps. Et même si on regardait ailleurs, restait un sentiment de malaise et d’injustice.

Tuer, pourquoi pas. Mais faire ou laisser souffrir, il n’en est aujourd’hui pour moi plus question. Il existe bien des méthodes pour faire les choses  « proprement ». Je vous propose de nous intéresser à celle qui me semble la plus évoluée et a laquelle j’ai pu m’initier lors d’un atelier proposé par le magasin Alcédo de Vannes (56) et pratiquée sur des poissons prélevés le jour même.

 

 

La méthode

 

L’IKEJIME, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est présenté comme une méthode respectueuse du poisson, efficace, et qui de plus préserve ses qualités gustatives.

C’est une pratique qui nous vient du pays du soleil levant. Son nom en japonais peut se traduire par « mort vive »  Elle n'a aucune dimension rituelle ou religieuse. C’est sans doute la mort la moins cruelle, douloureuse et stressante pour le poisson, puisqu’ il n'y a ni agonie, ni panique de l’animal.

Elle consiste en une destruction du système nerveux du poisson par neutralisation préalable du cerveau puis du cordon spinal, tout en permettant au cœur de continuer à battre. Au premier abord, cela peut sembler cruel. Mais en réalité, le poisson étant mort cérébralement, seuls les organes autres que le cerveau restent fonctionnels.

Le système nerveux étant neutralisé, le poisson ne souffre quasiment pas. Et le processus de dégradation des chairs et considérablement ralenti. Je peux témoigner, pour avoir assisté au sacrifice de deux bars bien vivants que  la méthode tient ses promesses.

Attention, la démarche ne souffre pas l’approximation. Le mieux est certainement d’y être initié par un pratiquant confirmé. Cela supposera egalement de s’intéresser encore plus à l’anatomie des poissons pêchés car celle-ci, vous en conviendrez, est bien différente qu’il s’agisse d’une dorade ou d’une truite arc en ciel.

 

 

Les gestes / La neutralisation du cerveau ou Tegaki

 

Le Tegaki est une tige métallique rigide (un poinçon) à insérer entre les deux yeux d'un poisson pour détruire son système nerveux.

 

 

Il meurt cérébralement instantanément. Mais ses organes continuent de fonctionner. Notamment son cœur qui va continuer à battre et à pomper le sang sans que l’animal soit à l’agonie. Le geste doit être rapide et demande un repérage précis du pont d’introduction de l’outil.

 

 

Les gestes / La neutralisation de la moelle épinière

 

Elle doit être effectuée sur toute la longueur afin que la chair ne reçoive pas l’information de la mort. Cela retarde considérablement le processus naturel de dégradation responsable de la putréfaction.

Pour se faire, un câble métallique est glissé de la tête vers la queue depuis l’orifice créé par le Tegaki, et un mouvement de va et vient doit être répété pour détruire la moelle épinière.

 

 

Celle-ci est trouvée lorsque le poisson réagit par des contractions et mouvements (qui peuvent être violents) du corps et des nageoires, signe que la zone d’action est bonne. La chair se relâche instantanément, le poisson change notablement de couleur.

 

 

Les gestes / La saignée

 

Cette dernière action consiste à vider le poisson de son sang. C’est lui qui est à l’origine des mauvaises odeurs et de la dégradation de la chair. Pour cela, il faut trancher les artères, en particulier la queue et le haut des branchies, puis laisser le sang s’écouler complètement.

 

 

La conservation du poisson

 

L'ikejime sublime les qualités organoleptiques du poisson et allonge notablement sa durée de conservation. Bien, mais comment ?

Il est tout d’abord utile d’insister sur le fait que dès que le poisson est tué, et tout au long de ces 3 premières opérations, il est important de préserver au maximum la chaine du froid pour ralentir le processus de dégradation biochimique de la chair.

Voyons maintenant de quelle manière l'ikejime améliore les propriétés gustatives du poisson. Pour comprendre, il faut se pencher sur le processus de dégradation post-mortem. Dans les faits, l'Ikejime ne rajoute rien d'extérieur au poisson. Il ne fait qu'optimiser le processus naturel de dégradation cellulaire. La Nature est bien faite, le poisson contient tout ce qu'il faut pour être délicieux. Il faut simplement s'assurer qu'il meure « bien » pour être réellement bon.

L'état de tonicité du poisson a une incidence directe et majeure sur son goût. On cherchera donc à travailler sur un animal le plus en forme possible, reposé, dé-stressé.

XXX

Voyons maintenant de quelle manière l'Ikejime influe sur la texture du poisson.
Tous les poissons, une fois morts, vont passer par une phase de rigidité cadavérique. Certains en ressortiront mous, avec une texture de bouillie, d'autres resteront fermes. Pourquoi ?
Plus un poisson meurt dans des conditions difficiles (lutte, stress, convulsions, agonie, noyade, asphyxie etc.), plus il va se rigidifier rapidement. Si vite que les muscles, brutalement sollicités, « craquent ». Les fibres musculaires se déchirent. Les membranes cellulaires cèdent. A la phase suivante, quand le muscle perd progressivement sa rigidité, on constate que le mal est fait : la chair du poisson est molle et le restera. Elle rendra de l'eau à la cuisson.

Par contre, plus le poisson meurt « bien », sans lutte ni stress, plus la phase de rigidité cadavérique va démarrer en douceur. Les muscles se contractent lentement, sans déchirures, sans dégâts. Les influx nerveux ne passent plus à la chair, qui ne reçoit pas l'information qu'elle est morte. L'inéluctable processus naturel de dégradation de la chair, qui mène, à terme, à la putréfaction, est considérablement retardé.

L’Ikejime bien exécuté, on retrouve donc la structure originelle de la chair du poisson. Celui-ci pourra ainsi être maturé, de plusieurs jours à plusieurs semaines (en fonction de son espèce et de la qualité de l'abattage), avant l'apparition du « mauvais goût » ou de la « mauvaise odeur ».

 

 

Conclusion

 

Lors de cet atelier, nous avons pu constater que les filets d’un poisson tué 4 jours auparavant et levés en notre présence revêtaient un réel aspect de fraicheur. Ils dégageaient un parfum semblable à ceux qui auraient été prélevés le jour même de la pêche.

 

 

Cette technique d'abattage n'a donc que des avantages : meilleur goût, texture inédite, maturation possible ET respect de l'animal.

Le matériel acquis à l’occasion de cet atelier et qui tiendra facilement dans mon sac à dos ou ma sacoche de pêche. Maintenant, c’est Ikejime ou no kill…..

 

 

Ci-dessous la vidéo d’un Ikejime pratiqué par un maitre japonais reprend en image les principes de base de cette méthode :

 

 

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