2 / Techniques de pêche et matériel Matériel

CCS et caractéristiques d’une canne à mouche

Le Common Cents System (CCS) en particulier, les caractéristiques d’une canne à mouche en général.

UN ARTICLE DE FRED 06     

 

PRÉAMBULE

Vous êtes-vous déjà demandé si votre canne, vendue pour une soie de 5, est bien optimale avec une soie de 5 ? Ou bien, vous vous dites que cette canne est plus nerveuse qu’une autre, mais de combien ?

Un américain, le Dr Bill Hanneman, a développé une façon de mesurer l’action des cannes à mouche. Ce n’est pas vraiment scientifique. C’est très empirique. Cela permet de comparer les cannes entre elles, et de mettre une valeur sur un ressenti. Je recommande aux lecteurs d’aller tout d’abord jeter un œil à la source sur ce lien :

☛  The common cents system

Si vous ne maniez pas la langue de Shakespeare avec facilité, et que ce sujet vous intrigue, cet article est pour vous. Il s’agit d’un résumé de la théorie, ainsi que de ma compréhension et retour d’expérience.

Remarque préliminaire et précaution d’usage avant de commencer : ça n’empêchera pas les truites de gober en toute quiétude. Mais ça peut empêcher les diptères de s’asseoir pendant quelques temps.

Donc, 3 grandeurs non subjectives caractérisent le blank :

  • ERN (Effective Rod Number), lié à sa capacité en charge statique.
  • AA (Action Angle) si le blank est «fast» ou «moderate».
  • CCF (Common Cents Frequency) qui est une caractérisation dynamique de la capacité du blank à revenir en place plus ou moins vite.

Allez, c’est parti.

 


L’ERN, l’Effective Rod Number

Tout d’abord, on part du principe qu’un blank est chargé à sa «charge intrinsèque» lorsqu’il est déformé du tiers de sa longueur. C’est une définition à priori.

Pour le mesurer, on coince la poignée sous un tas de bouquins sur un bord de table, canne horizontale. On attache au scion la masse permettant de faire descendre le bout de ce scion du tiers de la longueur totale de la canne.

En fonction de la masse qui a été nécessaire, on associe un chiffre, l’ERN, à l’aide de la « pierre de Rosette » de Dr Bill. Etant allergique aux unités impériales, voici la correspondance en grammes. Mais vous aurez plus de détails, en grains, onces et pouces dans le lien mentionné plus haut.

Dr Bill fait ça avec des pièces de monnaie de 1 penny (cents) qui pèsent 2.5 grammes. Pour ma part, j’utilise une petite pochette plastique remplie de centimes, que je pèse avec une balance de cuisine. Certains utilisent une petite bouteille d’eau dont on ajuste le niveau, et que l’on pèse ensuite.

 

 

Exemple : je déforme mon blank d’un tiers de sa longueur avec une masse de 92 grammes (ou un sachet de 37 cents), alors mon ERN est de 4.46.

Et alors ?

Et bien avec 92g, ma canne est chargée «intrinsèquement» au maximum en statique. C’est déjà une satisfaction en soi, et ça peut permettre aussi de comparer les blanks entre eux. Mais ce qui est intéressant, c’est que avec un ERN de 4,46 d’après le CCS, la bonne ligne à utiliser est une soie de 4 (on prend la partie entière de l’ERN).

Quel est le raisonnement derrière ? La « pierre de Rosette » du CCS, qui traduit la charge intrinsèque en ERN, intègre le fait qu’on pêche bien à la mouche lorsqu’on déploie un poids de soie qui est entre 7 et 9% de la charge intrinsèque. Les 91 à 93% restants, si l’on charge jusqu’au niveau «intrinsèque», étant pris par la charge dynamique. Ce n’est pas écrit comme cela dans le CCS, mais c’est ce que disent les chiffres.

En considérant qu’on lance 30 pieds de soie (soit 9,14m), on trouve le bon numéro de soie dans la norme AFTMA, qui définit entre autre la masse linéaire des soies en fonction de leur numéro (30 pieds de soie de 4 pesant 7.8 grammes selon la norme, soit 8.5% de la charge intrinsèque de 92g vue plus haut)

Je comprends que c’est comme cela que Dr Bill a créé la pierre de rosette du CCS et a fait correspondre la charge intrinsèque et l’ERN, dont la partie entière donne le n° de soie à utiliser.

Le coup du 30 pieds de soie n’est, au passage, pas anodin avec ce raisonnement. Si on pêche court, on chargera mieux le blank avec une soie plus lourde que celle recommandée par l’ERN. Et inversement, pour pêcher loin, il faut prendre une soie plus petite.

En conclusion, cette théorie considère qu’un blank qui lance environ 8% de sa charge intrinsèque statique est employé au mieux de ses capacités. Bon, voilà. Ca ne doit pas être toujours complètement juste,  mais avec l’expérience, je trouve que ça fonctionne vraiment très bien. Et ce pour les fouets «classiques», de 7 à 10 pieds, et pour des soies de 3 à 8.

 


AA, ou l’angle d’action

L’angle d’action est mesuré lors de la détermination de la charge intrinsèque. Une fois courbé du tiers de sa longueur, on regarde l’angle que fait le bout du scion avec l’horizontale. Il s’agit donc d’une deuxième mesure statique. Elle prend en compte la façon dont le blank se déforme, en complément de l’ERN.

Les 4 types d’action sont définis ci-dessous par le CCS :

  • Jusqu’à 59°, l’action est « slow »
  • Entre 59 et 63°, elle est « moderate »
  • Entre 63 et 66°, c’est du Moderate / Fast,
  • Puis Fast au dessus de 66°.

Plus c’est « fast » et plus c’est rapide ? Non, pas forcément ! Cela signifie que la déformée, en flexion, se concentre à proximité du scion.

L’ancien vocabulaire, «action de pointe», est bien plus correct. Cela signifie que les contraintes de flexion sont plus élevées coté scion que coté talon. Et que la déformée résultante donne un «Action Angle» élevé (raisonnement que connaissent bien les raboteurs de bambou –ainsi que les ingénieurs BTP –  qui calculent leurs profils de contraintes).  C’est une question de raideur et densité des fibres utilisées et de profil. Pour justifier l’appellation «fast»,  il est vrai qu’un blank « fast » reviendra souvent plus vite en place qu’un «slow» de proportion et matériaux comparables. Mais cela n’est dû qu’à la moindre masse déplacée.

Exemple ci-dessous, avec un bambou refendu, profil moderne et bien recuit,  quasi «fast»

 

 

Plus c’est « slow », ou parabolique comme disent les anciens, et plus ce serait doux,  agréable pour certains… Pas sur de souscrire, tout cela est tellement relatif.

Une action très ronde minimiserait le risque de casse au ferrage ou en combat. Et elle limiterait les décrochés. La démonstration  ne me semble pas évidente, entre deux cannes ayant le même ERN. Voir impossible … Il vaudrait mieux, pour ce genre d’argument, aller voir du côté du CCF.

Pour être complet, Dr Bill parle aussi du « big picture », qui consiste à définir ERN et AA pour chaque tronçon du blank. Mais là, je vous en fait grâce, un peu trop compliqué et pas facile à exploiter de mon humble avis. Les passionnés iront directement voir les articles mis en lien au début.

 


Le CCF, la Common Cent Frequency

Ça, c’est très très bon, car c’est une vrai mesure dynamique. Le blank est positionné à l’horizontale, comme pour les mesures précédentes, poignée bien bloquée. On charge le scion avec une petite masse correspondant à la soie qu’il est sensé lancer (ex : Charge intrinsèque de 92g => ERN=4.5 => soie de 4 => on fixe 7g au scion pour la mesure de CCF). On peut tortiller la bonne longueur de fil d’étain ou de fer. Ou on peut scotcher une ou 2 pièces de monnaies qui vont bien.

Puis on charge le blank en tirant dessus avec sa main, à un peu moins que sa charge intrinsèque. Et on lâche tout en déclenchant un chronomètre. On arrêtera le chrono lorsque le blank aura oscillé 20 fois. C’est à dire qu’il sera repassé 20 fois à sa position de départ (enfin, en tenant compte de l’amortissement). C’est bien d’être 2 pour la manœuvre : un qui manipule le blank ou la canne et qui compte les battements, l’autre le chrono. Certains filment pour plus de précision. Mais on arrive à un résultat reproductible assez facilement.

On fait ensuite 60×20/(temps mesuré en secondes) et on obtient le CCF en nombre de cycles (ou de battements) par minute. 60 parce que 60 secondes dans une minute, et 20 parce que 20 oscillations. Plus cette valeur est grande, plus la canne revient vite vers sa position droite après une charge. Cela signifie que le blank transmet son énergie rapidement à la ligne. D’après Dr Bill, c’est vraiment intéressant car ça caractérise le «ressenti» sur la «nervosité» d’une canne. Ce sont des sensations qu’il arrive ainsi à caractériser avec une valeur en absolue. Un blank qui a un CCS élevé  sera un bon lanceur également. Car il transmettra une bonne vitesse initiale à la soie.

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Est-ce que la fréquence la plus haute est le mieux ? Je vous laisse disserter. Vous avez 4h. Perso, je ferais une thèse sur la rapidité d’action et le faible nombre de faux lancers pour atteindre un poisson en maraude, et une anti-thèse sur les décroches et les casses, voir sur les tendinites du poignet et du coude.

Sur cette caractéristique, il faut noter que la longueur de la canne joue un rôle important. Il ne peut donc servir qu’à comparer des blanks identiques en longueur et puissance. Le profil, mais surtout la densité et la raideur des fibres utilisées jouent.

 


Conclusion

Pour les aspects puissance statique, le coup du tiers de la longueur pour la charge intrinsèque est intéressant. Tout comme le fait de dire que moins de 10% de cette charge doit être pris par la charge idéale en statique.

Le CCF, c’est excellent, car lié à la vitesse de réaction du blank, mais sa mesure n’est pas facile. Et les fournisseurs ne la donnent pas à ma connaissance. Avec l’ERN, l’AA et le CCF, on est bien armé pour caractériser un blank ou un canne montée, et mettre des valeurs sur un ressenti.

Je vous ai proposé par ce texte ma compréhension de la théorie et mon interprétation en toute humilité. J’ai peut-être fait des erreurs, ou sur-interprété, et je serai curieux des retours.

 


D’autres paramètres pour compléter le CCS.

D’autres paramètres sont à prendre en compte pour caractériser une canne ou un blank.

La taille et le poids : ok, trivial.

La conicité : (diamètre talon – diamètre scion)/ longueur. De la conicité va dépendre, dans une certaine mesure, de ce qui peut être appelé dans les bistrots la «force du talon», ou encore la «réserve de puissance» permettant de bien brider les belles pièces. Plus elle est élevée, plus on prend des poissons énormes ?.

Le moment d’inertie est une grandeur très intéressante et majeure. On peut le voir comme la résistance à la mise en rotation. Plus le moment d’inertie d’un ensemble canne/moulinet/soie sera élevé, plus il faudra de force pour effectuer un aller de mouvement de lancer fouetté. Ce n’est pas facile à calculer sans couper sa canne en petit tronçon d’un cm, car le moment d’inertie représente la répartition de la masse. Et il est proportionnel au carré de la distance au centre de rotation. Mais il vaut mieux un scion léger et une poignée lourde que l’inverse… bref, je n’irai pas plus loin, et pour en savoir plus, un article en anglais sur l’excellent site sexyloop indique le calcul de ce MOI (Moment Of Inertia) ou Swingweight  :

☛ Measuring fly rod “Swingweight”

Voilà, quelques éléments pour mieux comprendre un de ses meilleurs amis, sa canne à mouche ?  Et n’hésitez pas à commenter, je suis sans doute passé à côté de certaines choses.

Merci à FRED 06 pour cette très belle contribution ??

Très joli fouet réalisé par l’auteur de cet article !

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