Je vis dans une région, le Maine et Loire, ou, s’il y a beaucoup de plans d’eau et de rivières, elles sont toutes lentes et/ou turbides. Royaume des ragondins et de ses désagréments (leptospirose), des poissons blancs et cyprinidés, silures et autres carnassiers. Poissons encore trop peu taquinés à la mouche, même s’ils présentent un intérêt certain, même si je m’y attèle… Poissons dénigrés par les chapeaux à plumes… peut-être simplement parce qu’ils n’ont jamais daignés s’y intéresser, à tort, je leur dit…
Certes, il y a encore quelques truites farios dans la Loire (j’ai vu le cadavre d’une fario qui faisait facilement 60cm), certes il y a encore des - trop faibles - remontées de saumons atlantique, que certains « s’amusent » à pécher en spinning, même s’ils les remettent ensuite à l’eau (youtube est leur ami….), les affaiblissant un peu plus dans leur course vers la reproduction… Stupidité de ces pseudos pêcheurs se disant sportifs…
Et puis ce fleuve magnifique, est grand, immense, puissant, traitre, les postes assez peu marqués, tout au moins pour moi… Dans les retours, c’est le royaume des mulets, poisson à la défense exceptionnelle, mais qui rendent fou les plus patients d’entre nous… Un faux lancer, et c’est le rush des mulets pour s’échapper, alors qu’ils sont capables de venir évoluer dans vos pieds à d’autres moments… jusqu‘au passage d’une mouette, aussi efficace sur eux qu’un faux lancer…
Alors, il reste deux ou trois rivières se prêtant à la pêche à la mouche sèche : dérivations de la Loire (où les eaux, filtrées par le sable, peuvent être – relativement -limpides), ou de la Sarthe…
J’en connais une que je surnomme « petite Dordogne », car au printemps, elle se couvre de renoncules d’eau, verts tendres et fleurs blanches, miroirs de la végétion terrestre aux nuances de verts encore douces… un court linéaire d’environ 700m, d’une largeur de 10-15 mètres environ… Un très bel endroit, au calme…même si le taureau du champs d'à côté n'aime vraiment pas être dérangé!!
Une zone extrêmement riche. Tous les ans, 2-3 malheureuses truites de mer s’y font prendre en spinning, et finissent alors au fond d’un plat… Et oui, la mentalité des locaux est ainsi faite…
Silures (une année, sur environ 100m de lineaires, j’en ai compté jusqu’à 21, lors de leur reproduction), sandres, brochets, perches, aspes (arrivés il y a une dizaine d’années dans le bassin de la Loire, ils commencent à atteindre des tailles respectives, avec des poissons de plus de 80cm régulièrement capturés, maintenant), carpes… Et il y a encore quelques années de cela, run des grandes aloses, venant s’y reproduire… Peut-etre ont-elles trouvés des lieux plus propices à leurs amours, car nous n’en voyons plus maintenant…
Et puis, il y a des barbeaux, des chevesnes, certain vraiment énormes. Avec un ami, il y a deux ans, nous en avons vu un de plus de 80 cm, un poisson record, qui a malheureusement dédaigné toutes nos friandises. Un tel poisson devait « connaitre la musique » à en devenir mélomane avertit…
Rotengles, gardons, ides, des brèmes monstrueuses… Une zone riche en poissons, et en poissons de grandes tailles.
Je vais souvent sur ce linéaire, le soir en sortant du travail, dès que les niveaux sont corrects (pas avant fin Avril, dans la meilleure des années), car j’y fait de très belles pêches en sèche, sur des grands poissons. Un gros coléoptère au ras des bordures laisse très rarement indifférents ces gros chevesnes dépassant souvent les 60cm. Sur les lisses, en pleine eau, un petit sedge tente bien souvent des ides de toute beauté, alors qu’un chironome émergeant est une friandise pour les rotengles et gardons calés sous la surface, dans les courants…
Parfois cela en devient même lassant. Certains diront d’entre vous diront que j’exagère, d’autres, me connaissant, savant que c’est la réalité…
Mais alors, lassé par ces poissons très grands et trop nombreux pris à la mouche sèche, je pars alors à la chasse aux trésors…
Il y a un endroit, en sortie d’un courant assez vif, ou un tombant amène le fond à environ 1 mètre et demi de la surface. Une jolie fosse, ou la turbidité de l’eau empêche de voir le fond, même si je sais qu’y demeurent parfois mes trésors. En waders, ma canne de 10 pieds pour soie de 6 sous le bras, je m’approche alors lentement, attentif, aux aguets. Le tombant est devant moi, juste au bout de ma canne, le bras pas tendu.
Rien ne se passe, que le clapotis des vaguelettes… au dessus de moi passe une aigrette ou un héron, cris disgracieux, oiseaux magnifiques… je les regarde passer lentement, avant que de revenir à mon observation de l’eau… tout à coup, au pied du tombant, un éclair. Mieux qu’un détecteur de métal, cet éclair me renseigne sur la présence de mes trésors.
Ils sont là.
Mon cœur battant un peu plus vite, je change alors lentement ma pointe. Içi un bon 20/100 est de rigueur. Je vérifie la solidité des nœuds. Rien ne doit être approximatif, car de l'or est au bout de la quête!
Au bout de ma pointe, mes doigts – fébriles - nouent avec peine une grosse pièce de métal. Souriant, j’en vois quittant alors cette lecture en pensant. "OK, le gars va pêcher à l’aimant !"
Mais non, je noue une grosse nymphe Pébeo, une grosse pièce faite de métaux denses. Hameçon taille 10, fort de fer, destiné, dans les magasins, à la carpe, ardillon écrasé, une grosse bille - 4,5 mm - de tungstène en tête, un corps de plomb…la bête pèse plus de 1 gramme. Flash encore sous l’eau, flash du soleil sur les couleurs fluo de ma « nymphe »…
Je suis prêt. Mon cœur bat vite. Ils sont là, à mes pieds, mes trésors, faisant déjà danser devant mes yeux leurs rêves dorés.
Je vérifie que mon épuisette est dans le dos, et je fais ma première dérive. Mon bras droit est tendu, comme tout mon être, dailleurs, ma canne dans son prolongement. Mon bras gauche est crispé… et mon regard fixé sur mon bas de ligne, sur ma dérive…
Rien. Je relance, nouvelle dérive, ma nymphe roule sur le fond caillouteux, puis glisse le long du tombant…je maintiens ma canne, poursuit ma dérive au maximum… Rien.
Mon coeur bat la chamade, Je me calme, attend deux minutes, et relance ma nymphe pour une troisième dérive… au même endroit, ma nymphe roule sur le tombant. Un éclair doré, je ferre d’instinct…
Et rien ne bouge…je me suis accroché à une pierre tapissant le fond.
Mon cœur bat trop vite, mon fil tendu, ma canne en arc de cercle. Je reste ainsi, hébété, n’attendant rien, bras tendu, canne immobile, bandée et courbe comme le serait un arc…
Et puis, le « fond » bouge. Lentement, il se met à remonter le courant. Mes trésors sont là, l’un d’un eux a pris ma nymphe !
Le reste est une autre histoire.
Combat lourd, long, un grand poisson refusant de monter en surface, lingot d’or collé au fond grâce à ses immenses nageoires pectorales, animal têtu, refusant de lâcher prise, refusant de venir voir le ciel, luttant de toutes ses forces, immenses.
Longtemps le combat dure, mon matériel est à ses limites de résistance. Une fois, deux fois, trois fois il vient en surface, pour re-disparaitre alors vers le fond, d’un coup de queue, d’un reflet doré.
Et puis, ses retours vers les profondeurs deviennent de moins en moins brutaux, il accepte la caresse du soleil de plus en plus longtemps, et enfin, il rentre, difficilement et à contre cœur, dans l’épuisette… Mon bras est tétanisé, douloureux, mon cœur emballé, ivre de joie…
Mais mon lingot d’or est là, devant moi, magnifique, large, épais, brillant, palpitant de milles reflets dorés, de milles beautés métalliques…un rêve doré, un trésor, un lingot d'or…
Je le décroche rapidement dans l’épuisette, une photo, et il repart lentement, paisiblement vers le fond, vers cette fosse aux trésors…
Le soir, je me suis endormi riche, riche d’un rêve de lingot d’or…