La Loue se meurt à petit feu (Est Républicain)

Christian Hager, membre de notre forum m’a transmis ce petit article paru récemment dans l’Est Républicain.

Des articles sur le déclin de la Loue, il y en a à foison, mais j’ai trouvé celui-ci particulièrement poignant.

Il a été rédigé sur la base de témoignages pleins d’amertume de Me Claude de Montrichard, propriétaire du château de Cleron situé sur les berges de la Loue.

Durant plusieurs décennies, la Loue a attiré des pêcheurs du monde entier dans ces eaux. Cette rivière détenait une densité de poissons rare avec des ombres et des truites aux mensurations records. Depuis les mortalités de 2012, la richesse piscicole n’est plus qu’un lointain souvenir.

Chaque jour, Claude de Montrichard, constate la dégradation de la Loue depuis sa vaste demeure qui surplombe la rivière. Tout a été dit, tout a été écrit sur la Loue. De ce joyau regorgeant de truites et d’ombres au début des années 50, de ces grands pêcheurs qui se sont pressés sur ses berges durant plusieurs décennies, de ces éclosions formidables, de ces coups du soir magiques et de ces spécimens records. Un lointain souvenir. La Loue n’est aujourd’hui plus que l’ombre d’elle-même. Les pollutions et l’activité humaine ont abîmé ce cours d’eau et sa richesse d’autrefois. L’une de ces sentinelles est aux premières loges depuis plusieurs décennies. Chaque jour elle scrute et surveille cette rivière qui l’inquiète. Une rivière particulièrement poissonneuse autrefois.

Pour arriver dans sa demeure, il faut emprunter la départementale 9. En arrivant sur le pont, l’imposant château du XIVe siècle se dresse. Ses donjons semblent surveiller la Loue et ses poissons depuis sept siècles. Sur ses berges, l’un des plus beaux parcours de la région. « Il faut que l’on arrête de parler château, le sujet, c’est la rivière », prévient Claude de Montrichard. « La comtesse », comme les gens du pays l’appellent, est une enfant de la nature, « le béton ne me passionne pas ». La septuagénaire est l’occupante du château de Cléron. Du haut de ses 75 printemps, elle constate la mort programmée de ce cours d’eau. Pour en parler, elle a souhaité s’éloigner de ces donjons omniprésents et de s’avancer dans son parc, où au milieu, coule une rivière.

Le château de Cléron a été construit au XIVe siècle. Il domine la Loue depuis 700 ans.
« Le professeur Jean Verneaux me disait souvent : ‘‘Il ne faut pas atteindre le stade où la résurrection n’existe plus. J’espère qu’il n’est pas déjà atteint’’ », souffle Claude de Montrichard.
« En rentrant d’Afrique, c’est ici que nous venions nous baigner, enfant. À l’époque, il n’y avait aucune algue, aucun caillou visqueux. Nous passions notre temps à faire des barrages, à retourner les pierres et piquer les chavots. J’ai d’ailleurs un souvenir très précis : une passerelle permettait de traverser la Loue depuis le château. On se couchait dessus et entre les lames de bois on observait les truites. On en voyait 15 ou 20 en l’espace de quelques minutes. L’autre jour, quand j’ai envoyé mes neveux faire la même chose, ils n’ont pas trouvé ce jeu très amusant. Ils en ont compté une ou deux tout au plus. »

Des pêcheurs venus du monde entier
Dans sa mémoire, Claude de Montrichard garde l’image de ces grands noms venus asseoir leur légende sur ce cours d’eau mythique. « Notre parcours, nous avions décidé de le réserver aux pêcheurs à la mouche. Des gens du monde entier sont venus, les restaurants et les hôtels du coin étaient pleins grâce à cette activité. » « En évoquant simplement la Loue, ces hommes avaient des étoiles dans les yeux ». Ici sont venus Charles Ritz dans des temps anciens, Dominique Nicolas du groupe Indochine et tant d’autres, anonymes, d’Amérique, d’Écosse, d’Autriche ou encore d’Islande.

Un intérêt touristique qui a décliné au début des années 2000 avant le cataclysme de 2010. Cette année-là, des poissons sont morts par milliers. « Sous la terrasse du château, on voyait flotter les truites mortes défiler les unes après les autres de janvier à juin. Depuis longtemps je me battais pour la qualité de l’eau. J’avais participé à la création de la maison de l’eau et de la pêche à Ornans. Cet épisode a donc été terrible pour moi », souffle Claude de Montrichard.

« Ne pas atteindre le stade où la résurrection n’existe plus »
Progressivement, les algues ont remplacé les poissons et les cailloux sont devenus visqueux, impraticables. Désormais, quand ses neveux viennent lui rendre visite, elle leur déconseille de tremper les pieds dans la Loue. En dépassant le barrage où elle avait choisi de faire une halte, Claude de Montrichard souhaitait montrer l’un de ses petits trésors. Sous la terre, de l’eau fraîche et limpide jailli avant de se jeter dans la Loue. « Apparemment, elle provient des marais de Saône (quelques kilomètres plus loin). Vous voyez, il n’y a pas une algue, les cailloux sont propres. Voilà comment était la Loue avant. »

La situation peut-elle encore changer ? L’homme peut-il inverser le cours des choses, contraindre la filière agricole, les fromageries, et minimiser au maximum les rejets des stations d’épurations ? « J’y crois encore si les gens qui se disent écologistes s’occupent du bien-être de la rivière et non de principes théoriques. Le professeur Jean Verneaux me disait souvent : ‘‘Il ne faut pas atteindre le stade où la résurrection n’existe plus. J’espère qu’il n’est pas déjà atteint’’ ».