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Le bambou se Gave

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Sur un sujet récent de notre forum, je vous ai parlé d’un magnifique poisson que j’ai eu la chance de prendre peu de temps après l’ouverture. J’ai donc eu envie de partager ce moment magique au travers de ce petit article. N’y voyez aucune « fanfaronnade »  de ma part. C’est juste que les circonstances de cet épisode de pêche m’ont semblé intéressantes à partager. Certaines de ces circonstances peuvent paraitre farfelues. Mais je tiens à préciser qu’elles sont rigoureusement exactes.

( PS : les dessins sont réalisés par Me Pierrot )

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Cela s’est passé au bord du Gave d’Oloron. Avec les Nives du pays basque, il fait partie de mes rivières de prédilection. La pêche y est très particulière. Elle consiste à arpenter tel un sioux les bordures à la recherche de truites ( souvent grosses ) en train de s’alimenter. Il s’agit d’une pêche principalement en sèche, et souvent en voyant le poisson.

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Une bordure typique du Gave d'Oloron. Lors des éclosions, les poissons viennent systématiquement se nourrir sur ces zones presque dépourvues de courant.

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Le mois de mars est une période favorable pour cette rivière. Les poissons y sont souvent actifs. D'autre part, la fonte des neiges n’a pas encore commencé, ce qui induit souvent des niveaux idéaux. Or, me sachant en partance pour la première cession de l’année sur cette rivière, un de mes amis m'a mis la pression ( en toute amitié je le sais ). Il me demanda pourquoi je ne tentais jamais de pêcher ces poissons avec une de mes cannes en bambou refendu.
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L’idée fit rapidement son chemin. Il était temps de me lancer et d’oublier mes craintes d’une éventuelle casse sur une panthère béarnaise. Car finalement, j’ai lu et entendu souvent que les gros poissons se maîtrisaient plus facilement sur du bambou. Et d’autre part, je me dis également qu’une canne courte de 7 pieds devrait me permettre de réaliser certains lancers quasiment impossibles avec une canne de 9 pieds, en raison de l’encombrement végétal des berges du Gave. D’autant plus que la plupart du temps, ces lancers doivent être réalisés en revers.
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Et quitte à me lancer, autant le faire avec ma canne préférée, mon monobrin "TOUBAMBOU"  en 7 pieds, dont le blank n’est emmanché que de 8 cm dans la poignée également en bambou.
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Le jour « J », par une journée relativement fraiche et couverte, j'arrivais à pied d'oeuvre vers 13 heures. Le Gave se trouvait à un niveau parfait. Quelques fines averses éparses me laissaient à penser que je n’étais pas loin des conditions de pêche idéales. Après avoir parcouru pendant 2 heures une première bordure, je pus localiser deux poissons qui s’alimentaient sous l’eau. Mais ils étaient impêchables car postés au milieu d’embâcles. Je me dirigeais alors vers une 2ème bordure.
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Après une vingtaine de minutes, ce que j’espérais se produisit : quelques premières March Brown, rapidement rejointes par des Baetis Rhodhani, se mirent à défiler en surface sous mon oeil béat. Je compris immédiatement qu’il allait se passer quelque chose. D’autant que j’approchais du secteur préférentiel de cette bordure. L’éclosion s’intensifia alors pour se transformer en un défilé jubilatoire de petits voiliers.
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Et là, sur une zone quasiment sans courant, et bien que distant d’une vingtaine de mètres, je vis ce museau sortir de l’eau et aspirer goulument une éphémère infortunée.

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À 9 secondes ... un museau !

Avant toute chose, je ne bougeais plus et admirais le fabuleux spectacle de ce poisson qui s’alimentait frénétiquement. Il s’agissait incontestablement d’une grosse truite, ce qui me procura une première montée d’adrénaline Reprenant mes esprits, je commençais l’approche.
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Elle dura une bonne quinzaine de minutes car le soleil avait percé les nuages. Le moindre reflet, ou remous, serait fatal. M’approchant de la zone, et découvrant les branches environnantes, je compris qu’il me faudrait pêcher à genoux, et lancer en revers.

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Une fois en position à environ 6 mètres du poisson, collé à la berge derrière un tronc d’arbre et finalement assis dans l’eau, j’entamais une longue série de lancers infructueux en raison des nombreux obstacles, du manque de recul pour le lancer arrière et sans doute aussi de l’émotion. Je ne les ai pas comptées, mais je pense avoir cassé à trois reprises mon bas de ligne dans les branches ...

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Et c’est là que survient le détail le plus croustillant. Une de ces casses se produisit en effet sur une branche située presque à l’aplomb de la truite. Je me trouvais alors avec une « guirlande » d’un mètre de fil située entre le poisson et moi, ce qui parasitait maintenant tous mes lancers.

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Mais je pense que ce jour-là, le bon Dieu fut avec moi, car une légère brise se leva. Ma "guirlande" se balançait maintenant de droite à gauche, et vice-versa. Toujours à genoux ( depuis au moins une 1/2 heure ) et complètement ankylosé, je devais maintenant en finir, d’une façon ou d’une autre. J’attendis que la guirlande soit poussée par le vent, réussit enfin un lancer arrière parfait au ras de l’eau, et lâchait tout avec une traction sur le lancer avant. Sans vraiment en croire mes yeux, je vis ma mouche se poser à deux mètres en amont de la truite. Je savais alors que c’était gagné.

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Ces deux mètres durèrent une éternité et l’adrénaline grimpa, si tenté qu’elle puisse encore le faire. La truite, que je voyais maintenant, se dirigea avec nonchalance vers mon artificielle. Et là, je me dis « ne pas ferrer trop tôt, surtout ne pas ferrer trop tôt » car c’est souvent l’erreur que l’on commet pour les poissons pêchés en sèche à vue. Comme dans un rêve, je vis le gros museau sortir de l’eau et aspirer mon artificielle.

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J’attendis deux secondes, ferrais violemment, vis un énorme bouillonnement en surface et entendit… crac ! Au ferrage, un sinistre bruit venait de se produire au dessus de ma tête. Je levais les yeux avec effroi, persuadé que ma canne n’était plus monobrin mais en plusieurs morceaux. Heureusement, il n’en fut rien. Bien qu’ayant heurté violemment une branche d’arbre, elle était toujours intacte. Par contre, ma ligne, elle, se trouvait complètement détendue. Toujours à genoux dans la rivière, j’étais désespéré car j’avais perdu mon poisson.

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Je tentais de me relever, mais plus d’une heure à genoux dans une rivière à 8° n’est pas vraiment compatible avec un pêcheur de 65 ans. Remis sur pied tant bien que mal et dégoûté, je commençais à rembobiner ma ligne. Soudain, je sentis une très légère résistance. Je repris alors espoir. Avec la plus grande prudence, car je connais les réactions extrêmement brutales des poissons du Gave, je repris contact et ferrais à nouveau, un peu dans l'inconnu… Et là, instantanément, je pris une décharge électrique dans les mains. En trois secondes, et avec une violence inouïe, la Fario me pris 25 mètres de soie en filant vers le grand courant central.

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Il faut quand même être sacrément fada pour faire un petit film dans de telles circonstances 😂

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Elle resta à naviguer au milieu de la rivière pendant une bonne quinzaine de minutes. C’est pendant ce laps de temps que je compris l’aptitude des cannes en bambou refendu à tenir un gros poisson. Car à aucun moment je ne sentis que la truite me mettait en difficulté. C’est un peu comme si la canne faisait tout le travail par son seul nerf. La mise à l’épuisette fut tout de même un peu « rock and roll », mais là encore, j’ai vraiment eu le sentiment qu’un blank court en bambou refendu permettait une meilleure maîtrise.

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Et après ? Du bonheur, tout simplement. un cri qui a raisonné dans la vallée, des yeux embués, un baiser langoureux à la truite avant de la rendre à son élément. Et une tendre pensée pour cet ami qui m’a convaincu d’utiliser mon monobrin en bambou, qui sera maintenant de toutes mes sorties.

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Merci ma belle, pour ce moment de bonheur !

La bordure où se trouvait la belle, en vue aval

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